Enregistré le 20 nov 2012 au Théâtre "Sous le caillou" (direction Pascal Coulan / Lyon 4ème)
Textes de Vinicius de Moraes (Rio 1913 - 1980)
sur des musiques de Tom Jobim, Baden Powell, Carlos Lyra, Toquinho, Edu Lobo, Chico Buarque,
Marilia Medalha, Pixinguinha, Paulo Soledade, Vinicius de Moraes...
Dans ce spectacle vous entendrez la belle langue portugaise du poète s’adapter à différentes formes musicales, certaines typiques du Brésil comme la bossa nova, la samba, le choro et d’autres héritées de la culture européenne comme la sérénade, la valse, la modinha.
Vous découvrirez l'élégance, la légèreté, la gravité et l'humour de Vinicius de Moraes, à travers ses chansons de la plus célèbre à la plus secrète, et quelques textes et adaptations en français vous permettront de mieux saisir l'esprit du poète-musicien qui a su créer un pont entre culture savante et populaire.
Saravà Vinicius de Moraes !
Odile Bertotto et Benoît Eyraud
(chant / guitare)
Durée du spectacle: 1h15
Regard extérieur: Cécile Jacquemont
dans le cadre d'une résidence aux Concerts de l'Auditorium de Villefranche-sur Saône
Photos: Pascal Chartier, Denis Chobelet, Joël Kuby / Extraits vidéo: Pascal Chartier, Benoît Eyraud
- Salle Witkowski (Lyon 5e) organisé par l’Institut de langue et culture portugaise (ILCP/ Villeurbanne)
- Bédarieux organisé par l’association Lectures Vagabondes (30)
- CasaVoce/Scène de la voix à Montpellier (34)
- Agend’arts (Lyon 4e) dans le cadre du Festival Brasilyon (69)
- Maison de l'Amérique Latine Rhône-Alpes (MALRA/Lyon 5e) (69)
- Palais épiscopal de Belley organisé par la médiathèque de Belley dans le cadre de Mots en Scène(01)
- Théâtre "Sous le caillou" (Direction: Pascal Coulan /Lyon 4) (69)
- Salle La Cacharde à Saint-Péray (07) dans le cadre de la 12ème édition de "Histoires d'Amériques latines" organisée par les associations Partage sans Frontières et Ayllu (Drôme)
- Université Jean Monnet de Saint-Etienne (42) / Forme lecture musicale - Printemps des poètes mars 2013
- Théâtre "Sous le caillou" (Direction: Pascal Coulan /Lyon 4) - Printemps des poètes mars 2013 (69)
- Extraits pour la sortie du livre "Pépites brésiliennes" de Jean-Yves Loude et Viviane Lièvre aux Editions Actes Sud à la Librairie "Raconte moi la terre" (69)
- Festival "A l'ombre du cuvier" Millery (69)
- Festival en Beaujolais "Continents et Cultures" - Scène Expressions CCAB - Propières (69)
Rencontre sur le thème du Brésil autour du livre "Pépites brésiliennes" de Jean-Yves Loude, des photos de Viviane Lièvre et des extraits du spectacle "Vinicius"
- Festival du Théâtre d'Ardoise : 1ère partie de "Chamamé Musette"(Raul Barboza, Francis Varis, Zé-Luis Nascimento) Ile d'Oléron (17)
- Université Jean Monnet de Saint-Etienne (dans le cadre de la Semaine Culturelle Brésilienne)
- Médiathèque Jean Prévost Bron (69) (dans le cadre des Belles Latinas)
- L'Allégro de Miribel (01)
- Centre Culturel de la Ville Robert - Pordic (22 - Côtes d'Armor)
- Lhuis organisé par l'Association BSA (Bugey-Sud-Actif) (01)
- Morancé organisé par l'Association Loisirs et Fêtes en partenariat avec la Médiathèque de Morancé, avec le soutien de la Médiathèque Départementale du Rhône)(69)
- Salle Marie Laurencin - Ville de Tignieu-Jameyzieu (38)
- Vinicius (version courte) avant le projection du film "Orfeo Negro"- Cinéma Le Singuliers à Belleville (69)
- Acte 2 Théâtre (Lyon 9)
- Vinicius (version courte) avant le projection du film "Orfeo Negro" - CinéMavia dans le cadre du Festival Voix-là (71 - Haute-Saône)
- Bourg (01) dans le cadre la programmation des JMFrance
Contact : Odile Bertotto / 06 83 67 99 18 /obertotto(at)etoile-secrete.fr
Pour télécharger le dossier de presse : cliquer ICI
Egalement disponibles :
"Pépites brésiliennes"
une rencontre littéraire et musicale sur le thème du Brésil
avec l'écrivain ethnologue Jean-Yves Loude
autour de son livre "Pépites brésiliennes" (éditions Actes-Sud 2013)
(voir page sur ce site)
avant la projection du film "Orfeo Negro" de Marcel Camus
(film basé sur une pièce de théâtre musical de Vinicius de Moraes)
"Latines"
Chansons Venezuela / Brésil
Emmanuelle Saby / Odile Bertotto et Benoît Eyraud
Odile Bertotto et Emmanuelle Saby jouent dans le spectacle musical jeune public « Brin de poulettes » (www.compagnie-epa.fr). Elles partagent, par ailleurs, un amour pour les musiques d’Amérique Latine, chacune à sa façon. A la demande du Festival Voix-là (Haute-Saône) elles ont joué « Brin de poulettes » en journée pour le jeune public et inauguré « Latines » une soirée entre Venezuela et Brésil : Emmanuelle y présente une partie de son solo "Caramba mi amor" (chants du Venezuela) et Odile, une partie de leur spectacle "Vinicius", avec le guitariste Benoît Eyraud.
Après avoir créé avec la talentueuse Verioca "Au milieu du chemin/No meio do caminho" (lecture musicale sur la Poésie du Brésil), j’ai eu envie de me pencher plus particulièrement sur le parcours de Vinicius de Moraes, poète atypique, homme de lettres et diplomate, devenu chanteur populaire.
Je dois ajouter que mon intérêt pour la culture et la musique brésilienne et la création de ces spectacles sur le Brésil sont dûs avant tout à la rencontre avec Eduardo Lopes, musicien, chef d’orchestre, pédagogue… (avec qui j’ai eu la chance de travailler depuis plus de 10 ans au sein de l’ensemble vocal Gondwana), qui m'a toujours apporté ses conseils avisés et son aide généreuse à la mesure de sa culture et de son talent.
Sans lui, ces aventures n’auraient sans doute jamais commencées.
Voici, pour le plaisir, quelques textes qui donnent une idée de la variété de l’écriture du poète Vinicius de Moraes .
Je propose ici une traduction sommaire, n’hésitez pas à y apporter vos remarques et corrections (obertotto(at)etoile-secrete.fr)
Soneto do amor total / Sonnet de l’amour total
Vinicius de Moraes
Ecrit en 1951, c’est un des nombreux sonnets de Vinicius sur l’amour. Vinicius disait qu’il avait appris l’art du sonnet à l’université d’Oxford, en passant des nuits entières à traduire des sonnets de Shakespeare par plaisir et pour calmer son angoisse et sa mélancolie.
Vinicius disait: «Le sonnet est une prison sans barrières, ni grilles. C’est seulement dans la prison dans laquelle il t’enferme que tu peux atteindre une plus grande liberté.»
Amo-te tanto, meu amor... não cante
O humano coração com mais verdade...
Amo-te como amigo e como amante
Numa sempre diversa realidade.
Amo-te afim, de um calmo amor prestante
E te amo além, presente na saudade
Amo-te, enfim, com grande liberdade
Dentro da eternidade e a cada instante.
Amo-te como um bicho, simplesmente
De um amor sem mistério e sem virtude
Com um desejo maciço e permanente.
E de te amar assim, muito e amiúde
É que um dia em teu corpo de repente
Hei de morrer de amar mais do que pude.
Je t'aime tant, mon amour ...
Le coeur humain ne peut chanter avec plus de vérité ...
Je t'aime comme ami et comme amant
Dans une réalité toujours différente.
Je t'aime, d’un calme amour fin et délicat
Et je t’aime plus encore, présent dans la nostalgie
Je t'aime, enfin, avec une grande liberté
Dans l'éternité et à chaque instant.
Je t'aime comme un animal, simplement
D'un amour sans mystère et sans vertu
Avec un désir massif et permanent.
Et de t’aimer ainsi, beaucoup et souvent
un jour viendra, où dans ton corps soudain
Je vais mourir d'aimer plus que je ne pouvais.
A Casa /La maison Vinicius de Moraes
Ce poème fut d’abord publié en 1970 dans un recueil destiné à la jeunesse «Arca de Noé».
«Arca de Noé» fut ensuite mis en musique par Vinicius et d’autres musiciens dont Toquinho, et devint un classique de la chanson pour enfants au Brésil. (1980 - 1981 Ariola/Philips). Il existe une jolie édition bilingue illustrée de ce poème: «La maison» Editions Rue du Monde Collection Petits géants du monde 2008.
Era uma casa muito engraçada
Não tinha teto, não tinha nada
Ninguém podia entrar nela, não
Porque na casa não tinha chão
Ninguém podia dormir na rede
Porque na casa não tinha parede
Ninguém podia ir na cozinha
porque tal coisa tambem não tinha
Ninguém podia fazer pipi
Porque penico não tinha ali
Mas era feita com muito esmero
na rua dos bobos numero zero !
C’était vraiment une drôle de maison
Elle n’avait pas de toit, elle n’avait rien
Personne ne pouvait y entrer dedans, non
parce dans la maison il n’y avait pas de sol
personne ne pouvait dormir dans un hamac
parce que dans la maison il n’avait pas de mur
personne ne pouvait aller dans la cuisine
parce que une telle chose n’existait pas
personne ne pouvait y faire pipi
parce que de pot, il n’y avait pas ici
mais elle avait été faite avec beaucoup d’amour (d’application)
dans la rue des idiots au numéro zéro !
O Operário Em Construção / L’ouvrier en construction Vinicius de Moraes
Ecrit en 1955 à Paris et publié en 1961 au Brésil, ce texte lu par Vinicius en 1963 à São Paulo, donna au grand public l’image d’un poète engagé (alors qu’il était plutôt considéré auparavant comme le poète de l’amour et de la passion).
Vinicius disait à propos de ce poème : «Ceci n’est pas un poème politique, c’est un poème viscéral. Le poème politique est celui que tu fais sur commande»
E o Diabo, levando-o a um alto monte, mostrou-lhe num momento de tempo todos os reinos do mundo. E disse-lhe o Diabo:
– Dar-te-ei todo este poder e a sua glória, porque a mim me foi entregue e dou-o a quem quero; portanto, se tu me adorares, tudo será teu.
E Jesus, respondendo, disse-lhe:
– Vai-te, Satanás; porque está escrito: adorarás o Senhor teu Deus e só a Ele servirás. Lucas, cap. V, vs. 5-8.
Era ele que erguia casas
Onde antes só havia chão.
Como um pássaro sem asas
Ele subia com as casas
Que lhe brotavam da mão.
Mas tudo desconhecia
De sua grande missão:
Não sabia, por exemplo
Que a casa de um homem é um templo
Um templo sem religião
Como tampouco sabia
Que a casa que ele fazia
Sendo a sua liberdade
Era a sua escravidão.
De fato, como podia
Um operário em construção
Compreender por que um tijolo
Valia mais do que um pão?
Tijolos ele empilhava
Com pá, cimento e esquadria
Quanto ao pão, ele o comia...
Mas fosse comer tijolo!
E assim o operário ia
Com suor e com cimento
Erguendo uma casa aqui
Adiante um apartamento
Além uma igreja, à frente
Um quartel e uma prisão:
Prisão de que sofreria
Não fosse, eventualmente
Um operário em construção.
Mas ele desconhecia
Esse fato extraordinário:
Que o operário faz a coisa
E a coisa faz o operário.
De forma que, certo dia
À mesa, ao cortar o pão
O operário foi tomado
De uma súbita emoção
Ao constatar assombrado
Que tudo naquela mesa
– Garrafa, prato, facão –
Era ele quem os fazia
Ele, um humilde operário,
Um operário em construção.
Olhou em torno: gamela
Banco, enxerga, caldeirão
Vidro, parede, janela
Casa, cidade, nação!
Tudo, tudo o que existia
Era ele quem o fazia
Ele, um humilde operário
Um operário que sabia
Exercer a profissão.
Ah, homens de pensamento
Não sabereis nunca o quanto
Aquele humilde operário
Soube naquele momento!
Naquela casa vazia
Que ele mesmo levantara
Um mundo novo nascia
De que sequer suspeitava.
O operário emocionado
Olhou sua própria mão
Sua rude mão de operário
De operário em construção
E olhando bem para ela
Teve um segundo a impressão
De que não havia no mundo
Coisa que fosse mais bela.
Foi dentro da compreensão
Desse instante solitário
Que, tal sua construção
Cresceu também o operário.
Cresceu em alto e profundo
Em largo e no coração
E como tudo que cresce
Ele não cresceu em vão
Pois além do que sabia
– Exercer a profissão –
O operário adquiriu
Uma nova dimensão:
A dimensão da poesia.
E um fato novo se viu
Que a todos admirava:
O que o operário dizia
Outro operário escutava.
E foi assim que o operário
Do edifício em construção
Que sempre dizia sim
Começou a dizer não.
E aprendeu a notar coisas
A que não dava atenção:
Notou que sua marmita
Era o prato do patrão
Que sua cerveja preta
Era o uísque do patrão
Que seu macacão de zuarte
Era o terno do patrão
Que o casebre onde morava
Era a mansão do patrão
Que seus dois pés andarilhos
Eram as rodas do patrão
Que a dureza do seu dia
Era a noite do patrão
Que sua imensa fadiga
Era amiga do patrão.
E o operário disse: Não!
E o operário fez-se forte
Na sua resolução.
Como era de se esperar
As bocas da delação
Começaram a dizer coisas
Aos ouvidos do patrão.
Mas o patrão não queria
Nenhuma preocupação
– "Convençam-no" do contrário –
Disse ele sobre o operário
E ao dizer isso sorria.
Dia seguinte, o operário
Ao sair da construção
Viu-se súbito cercado
Dos homens da delação
E sofreu, por destinado
Sua primeira agressão.
Teve seu rosto cuspido
Teve seu braço quebrado
Mas quando foi perguntado
O operário disse: Não!
Em vão sofrera o operário
Sua primeira agressão
Muitas outras se seguiram
Muitas outras seguirão.
Porém, por imprescindível
Ao edifício em construção
Seu trabalho prosseguia
E todo o seu sofrimento
Misturava-se ao cimento
Da construção que crescia.
Sentindo que a violência
Não dobraria o operário
Um dia tentou o patrão
Dobrá-lo de modo vário.
De sorte que o foi levando
Ao alto da construção
E num momento de tempo
Mostrou-lhe toda a região
E apontando-a ao operário
Fez-lhe esta declaração:
– Dar-te-ei todo esse poder
E a sua satisfação
Porque a mim me foi entregue
E dou-o a quem bem quiser.
Dou-te tempo de lazer
Dou-te tempo de mulher.
Portanto, tudo o que vês
Será teu se me adorares
E, ainda mais, se abandonares
O que te faz dizer não.
Disse, e fitou o operário
Que olhava e que refletia
Mas o que via o operário
O patrão nunca veria.
O operário via as casas
E dentro das estruturas
Via coisas, objetos
Produtos, manufaturas.
Via tudo o que fazia
O lucro do seu patrão
E em cada coisa que via
Misteriosamente havia
A marca de sua mão.
E o operário disse: Não!
– Loucura! – gritou o patrão
Não vês o que te dou eu?
– Mentira! – disse o operário
Não podes dar-me o que é meu.
E um grande silêncio fez-se
Dentro do seu coração
Um silêncio de martírios
Um silêncio de prisão.
Um silêncio povoado
De pedidos de perdão
Um silêncio apavorado
Com o medo em solidão.
Um silêncio de torturas
E gritos de maldição
Um silêncio de fraturas
A se arrastarem no chão.
E o operário ouviu a voz
De todos os seus irmãos
Os seus irmãos que morreram
Por outros que viverão.
Uma esperança sincera
Cresceu no seu coração
E dentro da tarde mansa
Agigantou-se a razão
De um homem pobre e esquecido
Razão porém que fizera
Em operário construído
O operário em construção.
L’ouvrier en construction Vinicius de Moraes
Le diable transporta Jésus sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, et lui dit:
- Je te donnerai tout ce pouvoir et cette gloire, parce que cela me fut donné et que je le donne à qui je veux; ainsi si tu te prosternes et si tu m'adores, tout sera à toi.
Jésus lui répondit: Retire-toi, Satan! car il est écrit: Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul.
Matthieu Chap IV verset 4.8 (Luc, ch. V, c. 5-8.)
C'était lui qui construisait les maisons
Là où auparavant il n’y avait que de la terre.
Comme un oiseau sans ailes
Il s’élevait avec les maisons
qui fleurissaient sous sa main.
Mais ignorant tout
De sa grande mission:
Il ne savait pas, par exemple
Que la maison d'un homme est un temple
Une temple sans religion
Il ne savait pas non plus
que la maison qu’il faisait
était sa liberté
et son esclavage.
En effet, comment, un ouvrier en construction
pouvait-il comprendre
qu’une brique
valait plus qu’un pain?
Les briques, il les empilait
Avec une pelle, du ciment et une équerre
Quant au pain, il le mangeait ...
Mais il ne pouvait pas manger des briques !
Et ainsi l’ouvrier allait
Avec la sueur et le ciment
Construisant là une maison
Et là un appartement
Plus loin une église, en face
Une caserne et une prison:
Prison dont il aurait à souffrir
S’il n’était, éventuellement,
Un ouvrier en construction.
Mais il ignorait
Ce fait extraordinaire:
Que l’ouvrier fait la chose
Et la chose fait l’ouvrier.
De sorte qu’un jour
À table, en coupant le pain
L’ouvrier fut pris
D’une soudaine émotion
en constatant surpris
que tout sur la table
- bouteille, assiette, couteau -
C'est lui qui les faisait
Lui, un humble ouvrier,
Un ouvrier en construction.
Il regarda autour de lui: la gamelle
le banc, la paillasse, la marmite
La vitre, le mur, la fenêtre
la maison, la ville, la nation !
Tout, tout ce qui existait
C'était lui qui le faisait
Lui, un humble ouvrier
Un ouvrier qui savait
Exercer sa profession.
Oh, hommes de pensée
Vous ne saurez jamais tout ce que
Cette humble ouvrier
Découvrit à ce moment-là !
Dans cette maison vide
Qu’il avait élevée lui-même
Un nouveau monde naissait
qu’il ne soupçonnait même pas.
L’ouvrier ému
Regarda sa propre main
Sa main rude d’ouvrier
D’ouvrier en construction
Et la regardant bien
Il eût une seconde l’impression
Qu'il n’y avait dans le monde
Rien de plus beau.
Il était en train de comprendre
Dans cet instant solitaire
Que, ainsi que sa construction
Avait grandi aussi l’ouvrier.
Il avait grandit en hauteur, en profondeur
En largeur et dans le coeur
Et comme tout ce qui grandit
Il n’avait pas grandi en vain
Puisque bien au-delà de ce qu’il savait
- exercer sa profession --
L’ouvrier avait acquis
Une nouvelle dimension:
La dimension de la poésie.
Et un fait nouveau s’était produit
Que tous admiraient:
Ce que l’ouvrier disait
Un autre ouvrier l’écoutait.
Et c’est ainsi que l’ouvrier
Du bâtiment en construction
Qui disait toujours Oui
Commença à dire Non.
Et apprit à remarquer des choses
Auxquelles il n’avait pas accordé attention:
Il nota que sa gamelle (marmite)
Etait l’assiette du patron
Que sa bière brune
Etait le whisky du patron
Que son bleu de travail
Etait le costume du patron
Que le taudis où il habitait
Etait la demeure du patron
Que ses deux pieds vagabonds
Etait les roues du patron
C'est la dureté de sa journée
Etait la nuit du patron
Que son immense fatigue
Etait l’amie du patron.
Et l’ouvrier dit : Non !
Et l’ouvrier devint fort
Dans sa résolution.
Comme il fallait s'y attendre
Les bouches de la délation
Commencèrent à dire des choses
Aux oreilles du patron.
Mais le patron ne voulait
Aucune préoccupation
- «Il faut le convaincre» du contraire -
dit-il à propos de l’ouvrier
Et en disant ceci, il sourit.
Le lendemain, l’ouvrier
En quittant le bâtiment
se vit soudain entouré
Des hommes de la délation
Et souffrit, comme prévu
Sa première agression.
Il eut le visage couvert de crachat
Il eut le bras cassé
Mais quand il fut interrogé
L’ouvrier dit : Non !
En vain l’ouvrier souffrit
Sa première attaque
Beaucoup d'autres suivirent
Beaucoup d'autres devaient suivre.
Toutefois, parce qu’il était indispensable
au bâtiment en construction
Son travail se poursuivait
Et toute sa souffrance
Se mélangeait au ciment
De la construction qui grandissait.
Comprenant que la violence
Ne ferait pas céder l’ouvrier
Un jour, le patron tenta
de la faire céder d’une autre façon
De sorte qu’il l’amena
Au sommet de la construction
Et en un instant
Il lui montra toute la région
Et la désignant à l’ouvrier
lui fit cette déclaration:
- Je te donnerai tout ce pouvoir
Et sa satisfaction
Parce que cela m’a été donné
Et je le donne à qui je veux.
Je te donne du temps pour les loisirs
Je te donne du temps pour les femmes
Ainsi tout ce que tu vois
Sera à toi
et plus encore, si tu renonces
à ce qui te fait dire non.
Il dit cela et fixa l’ouvrier
qui regardait et réfléchissait
Mais ce que voyait l’ouvrier
Le patron ne le verrait jamais.
L’ouvrier voyait les maisons
Et à l’intérieur des structures
Il voyait des choses, des objets
Produits, faits à la main.
Il voyait tout ce que représentait
Le profit du patron
Et dans chaque chose qu’il voyait
Il y avait mystérieusement
La marque de sa main.
Et l’ouvrier dit : Non!
- Folie ! - cria le patron
Tu ne vois pas ce que je te donne?
- Mensonge ! - dit l’ouvrier
Vous ne pouvez pas me donner ce qui est mien.
Et un grand silence se fit
Dans son coeur
Un silence de martyre
Un silence de prison.
Un silence habité
De demandes de pardon
Un silence terrifié
Avec la peur dans la solitude.
Un silence de tortures
Et de cris de malédiction
Un silence de fractures
A se traîner sur le sol.
Et l’ouvrier entendit la voix
De tous ses frères
Ses frères qui étaient morts
Pour d’autres qui vivaient.
Un espoir sincère
Grandit dans son coeur
Et dans le calme du soir
Devint gigantesque la raison
D’un homme pauvre et oublié
La raison qui cependant avait fait
d’un ouvrier construit
un ouvrier en construction.